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Le thème 1 "Dilemme de l’invisibilité - Le mal et le bien" est proposé gratuitement en pièce jointe (en bas de page). Découvrez également l'interview de l'auteur Yan Marchand, Docteur en psychologie.
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Un dilemme est un scénario dans lequel les protagonistes sont dans l’embarras. Faire le bon choix pour sortir de l’impasse semble difficile. Pour s’orienter, il convient de peser toutes les options. On a tous des dilemmes éthiques en tête : l’euthanasie, l’accueil des réfugiés… Les dilemmes sont partout si on veut bien les voir : l’achat d’une voiture, un déménagement pour des raisons professionnelles, les limites de l’aide que l’on peut offrir à un parent dépendant… Pour ce manuel, je me suis inspiré des dilemmes classiques en philosophie et qui peuvent parler au plus jeunes pour inventer des situations (Que choisirait-on de faire si on avait un pouvoir d’invisibilité ? Un homme pauvre a-t-il le droit de voler un médicament dont a besoin un membre de sa famille ? Un inconnu frappe à la porte, faut-il ouvrir ? etc.), mais aussi des dilemmes qui rythment la vie d’un élève (Suis-je obligé de m’excuser après une dispute dans la cour ? En sport puis-je mettre un camarade de côté pour augmenter mes chances de gagner ? Si je fais un cadeau, dois-je prendre en compte l’idée que les filles et les garçons n’ont pas les mêmes goûts ? Doit-on se retenir de rire dans certaines situations ? etc.).
Ces dilemmes sont également choisis pour leur potentiel philosophique. Pour sortir de l’embarras, les élèves seront obligés de jouer avec des concepts et de les définir.
- Comment sont-ils construits ?
Le dilemme commence par une scène facilement imaginable, parfois des scènes vécues par la plupart des élèves. Les élèves s’emparent de cette situation. Elle pose un problème et aucune solution ne semble simple. Alors, le groupe va proposer différents chemins. Le manuel propose une carte mentale qui reprend les chemins les plus souvent indiqués par les élèves. Ces chemins vont faire naître une tension qu’il s’agit de réduire.
Que faire de ces chemins ? Il faut les explorer les uns après les autres. Le manuel propose donc des arguments, des développements pour chacun d’entre eux, des références, des relances et des synthèses pour offrir aux élèves d’aller le plus loin possible dans leur réflexion.
Lorsque les chemins sont suffisamment explorés, on se rend compte qu’il est temps d’offrir une réponse à ce dilemme. Les élèves peuvent enfin délibérer et proposer des façons équilibrées de répondre au problème.
Par exemple, dans le dilemme du vol. Un homme pauvre doit voler un médicament dont un membre de sa famille a besoin. Les élèves vont mettre en tension le droit à vivre et le droit à la propriété, mais aussi le fait que, parfois, il est juste de voler. Comment s’en sortir ? Faut-il reprocher ce vol de médicament ? Les élèves vont alors se mettre à étudier ce qu’il est juste de faire dans certaines situations complexes ou rien ne va de soi. Ils peuvent estimer, par exemple, que les lois et les règlements ont parfois besoin d’être assouplis dans certaines situations, notamment dans des situations d’urgence et de nécessité.
"Ce que les enseignants apprécient, d’après leurs retours, c’est qu’en éthique on sort des discussions sur la gestion de la classe, ou des débats, ou d’une question faussement ouverte qui sert seulement à rappeler le règlement. L’éthique est avant tout une expérience de recherche autour des affaires humaines".
- Quels liens entre ces dilemmes et le programme d’EMC ?
Les programmes d’EMC invitent à développer le discernement éthique (cycle 3) ou le discernement à partir d’une réflexion sur les préjugés et les stéréotypes (cycle 2). Bien entendu, une initiation à l’éthique est une réponse à ces éléments du programme. Et c’est d’autant plus évident que l’éthique comme méthode n’existe qu’à partir du respect que l’on doit à autrui et d’une culture civique. Mais l’intérêt de l’éthique n’est pas seulement de répondre à une commande mais de travailler le sens de tous ces termes à la mode que l’on épuise à force de répétition (respect, morale, justice, préjugés, stéréotypes…).
L’autre point de convergence entre une initiation à l’éthique et le programme d’EMC est dans le temps accordé à une pratique favorisant l’expression orale. Ce que les enseignants apprécient, d’après leurs retours, c’est qu’en éthique on sort des discussions sur la gestion de la classe, ou des débats, ou d’une question faussement ouverte qui sert seulement à rappeler le règlement. L’éthique est avant tout une expérience de recherche autour des affaires humaines.
- Comment mettre en place les ateliers avec les élèves ?
La mise en place de ces ateliers d’éthique est assez simple. Les élèves sont en cercle, sans assise, sans crayon. Tout se passe à l’oral. On peut s’aider d’un tableau pour soutenir l’attention de certains. Pour l’enseignant, il suffit de proposer la situation initiale et d’être à l’écoute des chemins qui vont se dessiner, avant de les nommer. C’est un temps de récolte des idées.
Ensuite, on annonce que l’on va les explorer. Quand on perçoit que l’on est au bout d’un chemin, on synthétise les idées et on passe au chemin suivant. Lorsque tous les chemins sont explorés, on demande tout simplement : que faut-il faire ?
L’enseignant n’est pas directif, il n’est pas non plus flottant. La position est semi-ouverte. On laisse les élèves explorer en rappelant seulement le cadre de la situation. L’essentiel est de ne pas sortir des chemins (pour parler d’autre chose) ni de passer son temps à passer d’un chemin à un autre (ce que font souvent les élèves, car ils se dispersent). L’enseignant rappelle que pour l’instant on explore ce chemin et que les autres idées seront retenues pour l’analyse d’un autre chemin.
Cela semble simple, et c’est le cas dans une certaine mesure, à condition d’avoir anticipé les idées des élèves. Il convient d’avoir soi-même une structure pour cadrer la conversation. C’est pourquoi le manuel propose un guide de conversation qui se veut le plus complet et le plus rigoureux possible.
C’est un peu comme en improvisation. Il faut un thème clair afin de se laisser aller au plaisir de la variation. La séance offre un thème qui permettra aux élèves de jouer librement avec les idées et le langage. Et c’est là tout le paradoxe : tout est balisé, et c’est pour cette raison que la discussion sera souple, claire, d’une richesse infinie.
"L’élève travaille (...) sa capacité empathique jusqu’à sentir l’idée d’une responsabilité pour autrui, pour reprendre une formulation de Lévinas".
- Quel intérêt pour les élèves ? Quels effets ont ces ateliers sur les élèves ? Qu’avez-vous pu observer ?
L’intérêt est double.
Le second intérêt est le suivant : l’éthique est un exercice de décentrement. Pour s’en sortir, il faut comprendre ses repères mais aussi ceux des autres. Il faut donc se mettre à l’écoute d’un positionnement qui n’est pas le sien. L’élève doit comprendre l’enjeu pour les protagonistes de la situation proposée. Il apprend progressivement à se décentrer et à avoir de la considération pour un avis extérieur. Si on reprend l’exemple du vol, l’élève devra penser les enjeux pour l’homme pauvre, la malade, le pharmacien mais aussi la famille du pharmacien et une société qui cherche à être la plus juste possible. Dans ce contexte, il s’efface derrière ces enjeux qui sont ceux d’autrui. Il s’efface, sans se sacrifier, car il saisit à quel point penser pour autrui est également une source de plaisir, voire une puissance d’être. L’élève travaille ainsi sa capacité empathique jusqu’à sentir l’idée d’une responsabilité pour autrui, pour reprendre une formulation de Lévinas. Le décentrement est ce à partir de quoi une attention à autrui, une sollicitude, est possible.
Bref, l’éthique génère un plaisir intellectuel, un sens de la délibération et de l’empathie.
L’éthique, qui est une partie de la philosophie, ne pense pas forcément en terme de débat. L’idée n’est pas de confronter des points de vue divergents mais de mettre ses idées en commun pour répondre à un problème humain. Toute idée a donc une égale valeur, à condition de ne pas parler de soi. On ne demande pas à l’élève de dire ce qu’il en pense mais de penser, autrement dit de mettre sa pensée au service d’une situation qui n’est pas le sienne. Il n’est pas le sujet de la conversation. Il s’agit d’un exercice très relationnel où la compétition des égos n’a pas de place et les élèves s’en rendent vite compte.
Ce décentrement permet en outre de ne jamais évoquer le vécu, l’intime, le personnel et donc de générer des contagions émotionnelles ou des souvenirs douloureux ou des formes d’agressivité.
Les contradictions, loin d’être douloureuses, font tout le sel de ces moments. Ce ne sont pas des contradictions militantes mais des contradictions logiques. Il y a rapidement une forme de complicité qui se noue entre les élèves pour lever ces contradictions.
Les élèves ne s’emportent pas lors de ce type de rencontre éthique. Le seul risque est de voir la discussion partir dans tous les sens (les digressions inutiles à l’analyse de la situation) ou tourner en rond (les idées se répètent). Pour éviter ceci, les conseils que l’on peut donner sont les suivants : d’abord, rappeler qu’en éthique on ne parle pas de sa vie. On répond à la question posée, on évalue les enjeux et les solutions pour les protagonistes de la situation. Ensuite, rappeler qu’en éthique, on doit vraiment partir de l’idée que la parole des autres est pertinente. Il convient donc de s’écouter. Et il faut souvent le rappeler à certains élèves soucieux de leur parole et distraits quand viennent les mots des autres. Pour aider les élèves à rester attentifs à ce que disent les autres, on peut leur demander de répéter ce que tel ou tel élève vient de dire, de proposer régulièrement des synthèses, ou d’inviter les élèves à les produire eux-mêmes par écrit ou à l’oral.
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Dilemme de l’invisibilité - Le mal et le bien