Différencier la pédagogie

Paul Benaych

Coup de projecteur

Elémentaire

Collège

Article issu de l'ouvrage

Accessible gratuitement en pièce jointe, deux chapitres : "Différencier sa pédagogie : quels obstacles ? Comment les surmonter ?" et "Différencier sa pédagogie, oui, mais comment ?".
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Historiquement, la différenciation pédagogique est inscrite d’emblée dans le modèle de la classe multiniveaux : les enseignants des écoles chrétiennes du 19e siècle comme les "hussards noirs" de l’école de Jules Ferry accueillaient des enfants d’âges différents et faisaient dans la même salle des "cours" adaptés aux différentes tranches d’âge.

Très rapidement, la différenciation pédagogique a été perçue comme un moyen incontournable pour gérer l’hétérogénéité des classes. Et c’est en 1975, avec la réforme dite "loi Haby" et l’obligation de la scolarité jusqu’à seize ans que l’expression "pédagogie différenciée" apparait officiellement pour tenir compte de l’hétérogénéité des classes de collège.

Différencier sa pédagogie, c’est organiser les apprentissages en s’efforçant de prendre en compte les différences : tous les élèves ne font pas tous la même chose en même temps. Est-il pour autant indispensable de différencier en permanence ? Disons-le clairement : non. Travailler en collectif avec toute la classe est non seulement souhaitable mais indispensable : la classe est un groupe hétérogène arbitraire, il est important que des moments collectifs permettent de vrais échanges qui soudent le groupe classe.

C’est donc à des moments bien ciblés de l’apprentissage que l’enseignant prendra en compte la diversité de ses élèves. Différencier, cela signifie pour l’enseignant "jouer" sur les variables de la situation pédagogique : le temps, l’espace, les objectifs, les démarches, les dispositifs, les supports et les outils.

I- Pourquoi différencier ?

1- Pour construire une société de citoyens

Différencier sa pédagogie répond à la diversité des élèves dans tous les contextes socio-culturels, et en particulier avec les publics les plus défavorisés. Trois finalités sont assignées à l’école par les textes officiels depuis 1975 : démocratiser l’enseignement, élever le niveau de qualification de l’ensemble des élèves, répondre à l’hétérogénéité des classes pour favoriser la réussite de tous.

Depuis des années, les sociologues et plus récemment les économistes – Thomas Piketi en tête – dénoncent l’absence de mixité sociale dans certains établissements qui rassemblent les élèves les plus défavorisés et qui sont devenus des ghettos scolaires. Ils appellent donc régulièrement les ministres à prendre des mesures énergiques pour "mélanger" les élèves, faisant de la mixité sociale la clé de la justice scolaire. Pour certains, la carte scolaire serait l’outil efficace d’une distribution plus ferme permettant de faire cohabiter dans les classes des élèves issus de milieux culturels et économiques variés. D’autres défendent des mesures plus directes en déplaçant en masse à grand renfort de bus des élèves afin de leur permettre d’intégrer des écoles éloignées de leurs lieux de vie. Toutes ces propositions ont en commun l’idée naïve que l’on pourrait "décréter" d’en haut la mixité dans un établissement ; toutes se heurtent à un refus général des familles ; toutes sont très vite largement contournées. Toutes ces pistes échouent, accentuant encore le clivage entre enseignement privé et enseignement public au détriment de ce dernier. Ce ne sera certainement pas de l’extérieur de l’école que sera induite une plus grande variété culturelle et sociale dans les établissements ; c’est au contraire au sein même de chaque classe que la personnalisation des parcours pourra introduire de la diversité dans les situations d’apprentissage, en reconnaissant les besoins de chaque élève, les rythmes de chacun et les talents particuliers. En clair, c’est la mise en œuvre d’une pédagogie différenciée qui pourra permettre aux élèves fragiles de franchir à leur rythme les failles du cursus au lieu de s’y abimer. Cela suppose que l’on donne aux enseignants les moyens et la formation nécessaires pour qu’ils puissent "traiter" différemment des élèves dont les besoins sont si clairement différents.

Les réponses de structures, comme la mise en place des zones d’éducation prioritaire dans les années 1990 ou le dispositif  "plus de maitres que de classes" des années 2010 vont, nous semble-t-il, dans la bonne direction. Encore faut-il que de tels dispositifs soient accompagnés de formations et ne se limitent pas à diminuer de quelques élèves les effectifs des classes. Une évolution sensible des pratiques pédagogiques est à ce prix ; en d’autres termes, il est hautement souhaitable de conditionner fermement l’octroi de moyens supplémentaires à la mise en œuvre d’une différenciation pédagogique effective dans les pratiques de classe, différenciation dont chaque responsable, et en premier lieu l’enseignant, devra vérifier la régularité et l’efficience.

2- Pour forger un élève citoyen et autonome

a- Apprendre à son rythme et dans des dispositifs divers où il peut s’exercer

L’enfant est un infatigable explorateur qui aime tâtonner, s’essayer, explorer. Il aime expérimenter, toucher, mélanger, malaxer les matières et les objets, monter et démonter les jeux de "construction". À l’école, il vient pour apprendre. Apprendre à continuer à oser, apprendre qu’il a le droit, en devenant élève, de tâtonner, de se tromper, de questionner, de se questionner, de voir et de comprendre, seul, avec les autres, grâce aux autres et en même temps contre eux. Lorsqu’il veut convaincre, il doit argumenter, écouter, intervenir à bon escient, apporter des éléments en  s’appuyant  sur  un  texte. Cette éducation citoyenne en actes se double d’une éducation scientifique : émettre des hypothèses, les vérifier pour les valider ou les invalider. Ce faisant, il a l’occasion de développer son estime de soi tout en intégrant des savoir-faire et des savoir-être indispensables dans la vie sociale. 

b- Construire sa citoyenneté en actes

Au contact des autres, ses pairs, l’élève est amené à justifier ses propositions, à les expliciter. Il comprend mieux ses propres représentations en les présentant aux autres, il en explicite les fondements. Dans un tel contexte, l’enseignant joue le rôle de régulateur des échanges : l’élève comprend que l’instance de validation, ce n’est pas l’enseignant, c’est le texte, le support sur lequel il s’appuie, l’objet dont on parle et qu’on est en mesure d’analyser ensemble.

Prendre confiance en soi, construire l’estime de soi. Vivre en classe des situations différenciées, cela veut dire pour l’élève être en capacité de trouver le support ou le dispositif qui lui permet de réussir. Dans un dispositif adapté, dans une situation qui lui permet de s’appuyer sur ce qu’il sait déjà, l’élève apprend qu’il est capable de réussir dans ce qu’il entreprend. Il comprend mieux ce qu’il sait faire, il perçoit en situation ses manières de faire, ses stratégies. En d’autres termes, si l’enseignant l’y invite régulièrement, il met des mots sur ce qu’il sait faire, il identifie ses compétences. Cela renforce son désir d’apprendre, sa motivation. Il sait qu’il sait, et c’est déjà beaucoup.

Apprendre à coopérer. Placé dans des situations diversifiées, l’élève alterne des moments de recherche individuelle avec des moments d’échanges où il entre en inte- raction avec d’autres, en binôme ou en groupe. Il fait en alternance l’expérience de la réflexion personnelle et de la confrontation à autrui : seul, il peut s’approprier à son rythme le contenu de la tâche ; lors d’interactions entre pairs, il apprend à s’ouvrir à la vie sociale dans le cadre de la vie scolaire. L’élève apprend à construire sa place dans un groupe en affirmant ce qu’il est, tout en prenant en compte l’autre.

Forger son autonomie. Dans un environnement pédagogique qui lui propose diverses modalités pour apprendre, l’élève devient acteur de ses apprentissages. Il peut antici- per, choisir dans un cadre défini par l’enseignant, apprendre à son rythme, en mobili- sant librement ses stratégies personnelles d’apprentissage. Plus il exploite ses modes de fonctionnement privilégiés, il, plus il réussit, ce qui le motive. Il devient progressivement capable d’analyser ce qu’il sait faire en prenant du recul par rapport à ce qu’il fait ; ainsi, l’élève se dédouble et développe son esprit critique ; intégré dans un contexte qui lui permet de prendre mieux conscience de ce qu’on attend de lui, il peut anticiper sur ses façons de faire et, l’ayant fait, prendre la mesure de ses progrès. Avec cette posture réflexive, l’élève apprend qu’il est inscrit dans un parcours, dans du devenir, dans une évolution. Son rapport au savoir est plus dynamique : il comprend lentement, progressi- vement, que l’acquisition de ses compétences est un processus, que le savoir n’est pas un produit fini, qu’il a le droit de se tromper et que ses compétences se développent pour autant qu’il les mobilise. Voilà son autonomie en marche.

"Vivre en classe des situations différenciées, cela veut dire pour l’élève être en capacité de trouver le support ou le dispositif qui lui permet de réussir"

c- Pour l’enseignant, construire de la citoyenneté

On sait depuis longtemps qu’il n’y a pas deux élèves :

- qui progressent à la même vitesse ;

- qui soient prêts à apprendre en même temps ;

- qui utilisent les mêmes techniques et les mêmes démarches pour apprendre ;

- qui résolvent les mêmes problèmes de la même manière.

C’est pourquoi, viser la réussite de tous les élèves implique d’ouvrir la palette des possibles sur le plan pédagogique.

Affirmer l’éducabilité de chaque élève. Même en difficulté, tout élève peut apprendre, progresser, acquérir des savoirs. L’enseignant propose différents supports, différentes tâches, et en laissant chaque élève essayer différentes démarches. Il/Elle porte un regard vigilant et bienveillant sur le devenir de l’élève, à des fins de valorisation et de régulation. Il donne sa chance à chacun.

Identifier les acquis et les besoins de l’élève. Pour s’assurer de la pertinence des situations d’apprentissage mises en œuvre, l’enseignant doit pouvoir repérer en amont ce que les élèves savent faire. Prise d’indices indispensable, l’évaluation diagnostique et l’évaluation en cours d’apprentissage  lui  permettent  de  diff les situations, les supports et les dispositifs. Dans l’exemple du ROLL, l’évaluation diagnostique permet de dégager le profi   de chaque élève, ce qui donne à l’enseignant le moyen de construire un plan de travail adapté à chacun.

Prendre en compte les intelligences multiples. Chaque élève s’appuie à des degrés divers sur différentes postures sociocognitives :

- l’intelligence corporelle/kinesthésique : utiliser son corps d’une manière fine et élaborée, s’exprimer à travers le mouvement, être habile avec les objets.

- l’intelligence musicale/rythmique : être sensible aux structures rythmiques et musicales.

- l’intelligence visuelle/spatiale : créer des images mentales et percevoir le monde visible avec précision.

- l’intelligence naturaliste : reconnaitre et classer, identifier des formes et des structures dans la nature, sous ses formes minérale, végétale ou animale.

- l’intelligence verbale/linguistique : être sensible aux structures linguistiques sous toutes leurs formes.

- l’intelligence mathématique/logique : raisonner, calculer, tenir un raisonnement logique, ordonner le monde, compter. C’est l’intelligence décrite par Piaget, en tant que "l’intelligence".

- l’intelligence interpersonnelle : entrer en relation avec les autres.

- l’intelligence intrapersonnelle : avoir une bonne connaissance de soi-même.

Faire prendre conscience des vertus de l’altérité. En diversifiant les dispositifs pédagogiques, l’enseignant favorise la prise de parole de chacun, il garantit l’intégrité intellectuelle, physique et morale de chacun et joue le rôle de médiateur entre les élèves et le savoir. Il permet à chaque élève de comprendre que face à une situation-problème, face à une question, il peut y avoir plusieurs réponses, et que de plus, chacune peut être complémentaire et non exclusive de l’autre. Il instaure ainsi un nouveau rapport au savoir, plus ouvert et plus dynamique.

Aménager des moments de clarifier du contrat didactique. En fin de séance, en fin de semaine, selon des rythmes adaptés à leur maturité, l’enseignant invite les élèves à expliciter ce qu’ils ont vécu en classe. Ces moments de métacognition sont précieux : ils permettent de situer et de structurer les apprentissages en donnant aux élèves l’occasion de répondre à trois questions : "Qu’avons-nous appris à faire ?", "Comment l’avons-nous fait ?" et "Que savons-nous maintenant ?". Cette démarche d’explicitation favorise le transfert et le réinvestissement des compétences, tant en matière de contenus qu’en matière de stratégies. Clarifier ses démarches auprès des parents. Parallèlement, l’enseignant construit de la confiance lorsqu’il présente ces principes en début d’année aux parents : cette confiance est primordiale pour l’élève. Lorsque l’enfant entend des propos positifs sur l’école à la maison, il pose un regard serein et motivé sur ce que l’enseignant propose en classe. Les apprentissages n’en sont que plus efficaces.

 

Pistes

L’exemple du Réseau des Observatoires Locaux de la Lecture (ROLL)

Les bénéfices que l’école peut espérer retirer de la différenciation pédagogique sont considérables en termes de justice et d’efficacité. Cependant la mise en œuvre d’une telle démarche dans les disciplines essentielles est délicate lorsqu’un maitre doit gérer une trentaine d’élèves. Bien des enseignants, légitimement préoccupés, rétorqueront à juste titre : "Si je travaille avec une dizaine d’élèves en atelier, qu’est-ce que je fais des autres ?". Afin de vaincre ces réticences, il nous semble judicieux de donner l’exemple concret d’un dispositif qui fonctionne aujourd’hui dans plus de dix mille classes : le Réseau des Observatoires Locaux de la Lecture (le ROLL).

Comment cette différenciation fonctionne-t-elle ?  Je mets en place, deux fois dans l’année, une évaluation diagnostique. Celle-ci me donne d’une part le profil de chaque élève en termes de compétences de compréhension, d’autre part le profil de ma classe. J’ai donc mon plan de travail en ce qui concerne les compétences de compréhension.

Ainsi, je mets un groupe de 8 à 10 élèves en atelier de compréhension ; et en même temps, les autres élèves effectuent en autonomie des exercices ciblés sur les compétences de compréhension considérées comme des besoins grâce aux évaluations diagnostiques.

Bien entendu, ces ateliers sont "tournants" : ainsi, chaque élève, au fil des séances, bénéficie une fois d’un atelier de compréhension, deux autres fois d’exercices de perfectionnement ciblés sur ses besoins.

Zoom sur

En quoi consiste la posture de l’enseignant ?

- Respecter le fonctionnement et le rythme de chacun.

- Donner du sens : mettre en place un temps de présentation et d’explicitation de la démarche de différenciation :

pour les élèves,

pour les parents.

- Identifier les besoins (évaluation diagnostique : réponses adaptées, tutorat). Cette démarche scelle une sorte d’alliance entre adultes au bénéfice de l’enfant-élève.

- Forger un rapport plus ouvert aux savoirs : rappeler le droit à l’erreur, aménager des moments de métacognition.

- Socialiser : construire des médiations, favoriser les interactions.

- Attribuer des responsabilités aux élèves pour participer aux moments de métacognition.

- Valoriser le parcours : affirmer la légitimité du devenir de chacun génère des satisfactions : l’élève accepte l’idée de se tromper, comprend ses erreurs, il mesure ses progrès, il identifie ses acquis, ses stratégies d’apprentissage, il s’inscrit dans des échanges, des interactions. Reconnu par les autres, il construit son identité par son parcours. Rien n’est figé. L’enseignement explicite forge des stratégies que les élèves vont s’approprier de façon de plus en plus autonome.

Ressources

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Différencier sa pédagogie : Comment ? Quels obstacles ? Comment les surmonter ?

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